Écrire pour aller mieux.

Il ne s’agit pas d’écrire un roman, mais de coucher sur le papier ce qui se trame dans le cerveau. L’écriture est aussi une façon d’aller à la rencontre de soi. Seul ou en groupe, c’est un moyen de dire et d’accepter ce que l’on ne s’avoue pas. Tour d’horizon de ses multiples bienfaits avec plusieurs spécialistes.

“Ça rend sauvage l’écriture”, disait Marguerite Duras. Souvent associée à la douleur, paralysante pour certains, rédemptrice pour d’autres. Un mystère se produit quand la plume touche le papier, quand les doigts pianotent sur le clavier pour écrire son histoire, soi, les autres, des pensées, et même sa journée. Sublime quand elle est littéraire, elle peut aussi être thérapeutique, salvatrice et nécessaire pour atteindre “l’inconnu qu’on porte en soi”, comme le disait Duras, encore. Souvent sacralisée, l’écriture pourrait aussi être un moyen simple d’aller mieux. Si publier un roman n’est pas à la portée de tous, aligner ses pensées sur une feuille en aiderait plus d’un. Plusieurs spécialistes et pratiquants nous livrent leurs expériences d’une écriture thérapeutique.

Se libérer

“Écrire est cathartique”, affirme Nayla Chidiac, docteure en psychopathologie, fondatrice des ateliers d’écriture thérapeutique au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, et auteure du livre Ateliers d’écriture thérapeutique. En mettant des mots sur nos expériences, qu’elles soient traumatiques ou seulement contrariantes, l’écriture permet de se libérer des pensées et émotions qui débordent. “Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les journaux intimes commencent à l’adolescence, au moment où il y a une explosion émotionnelle”, souligne Nayla Chidiac.

Dans une étude de l’université de Californie de 2009, le professeur de psychologie Matthew Lieberman montre d’ailleurs que le fait d’écrire ses sentiments négatifs dans un journal allège leur impact en diminuant l’activité des régions du cerveau impliquée dans les émotions. “Tous les mots qui tournent en boucle dans la tête sortent au moment où on les écrit, on fait ainsi de la place”, résume Nayla Chidiac.

Le journal de bord permet également de revivre les événements avec une certaine distance pour mieux les digérer. À l’annonce de son cancer du sein à seulement 29 ans, Lili Sohn a décidé de raconter son histoire en dessins et en mots à travers un blog. “Au fur et à mesure de l’écriture, expliquer tout ce qui m’arrivait me faisait du bien. C’était compliqué de gérer l’annonce du cancer, la taille de la tumeur, la pensée de la mort. Le fait de prendre des notes et de raconter tout cela m’a permis de mieux assimiler les informations”, se souvient la jeune femme devenue auteure de romans graphiques depuis cette expérience. Selon elle, l’écriture est “totalement thérapeutique car elle permet d’avoir une maîtrise de l’histoire que l’on raconte”. Stéphanie Honoré, éditrice et animatrice d’ateliers d’écriture, quant à elle, traverse l’épreuve de son cancer du sein grâce à la poésie, avant d’aider les autres à le faire à travers des ateliers d’écriture. “Beaucoup de femmes ont exprimé leur besoin d’écrire pour remettre les choses en ordre et se reconstruire”, explique-t-elle.

Devenir acteur de son histoire

Cette reconstruction est d’autant plus nécessaire dans le cas de souvenirs traumatiques. “Dans le trauma, il y a une déconstruction ainsi qu’une rupture de l’espace et du temps alors qu’avec la fiction tout est possible”, affirme Nayla Chidiac. Le psychothérapeute Jean-Pierre Klein, également fondateur de l’Institut national d’expression, de création, d’art et thérapie, se souvient ainsi d’ateliers d’écriture avec des enfants victimes de violences. “Ils créaient des histoires de sorcières dans lesquelles ils transposaient les violences qu’ils avaient subies sans même se rendre compte qu’ils racontaient leur propre histoire”, affirme-t-il.

Le même processus s’actionne chez les adultes. “Comme on n’attaque pas les problèmes de front, ils écrivent des choses importantes sur eux sans se méfier”, ajoute-t-il. Selon lui, cette forme d’autofiction permet à ceux qui se sont toujours considérés comme victime de devenir acteur de leur histoire. L’écriture devient alors une façon de travailler sur soi, “mine de rien”.

Un engagement physique

Pour Nayla Chidiac, l’écriture manuscrite a une force supplémentaire car elle engage le corps davantage. “La main devient la continuité de la pensée, le corps et l’esprit sont unis. Il s’agit presque d’une forme de méditation grâce une présence à soi et à l’instant présent”, souligne-t-elle.

Qu’on écrive à la main ou à l’ordinateur, de nombreux procédés existent pour s’y mettre. Journal intime, carnet de notes, mais aussi des lettres que l’on n’enverra jamais. Ainsi pour se débarrasser des griefs contre une personne de son entourage, la coach Stéphanie Assante propose de leur écrire des lettres, “que l’on peut brûler après, mais déjà en ayant écrit tout ce qu’on leur reprochait, l’intensité des émotions négatives baisse”. Au même titre, la coach utilise les “carnets du positif” pour mieux se rappeler des petites joies du quotidien. “Il faut décrire les moments de bonheur ainsi que les émotions associées d’une façon concrète, cela permet de mieux les activer dans notre souvenir plus tard”, souligne-t-elle.

Lettres, carnets, ateliers

Pour aller plus loin qu’une pratique individuelle, de nombreuses institutions proposent des ateliers d’écriture en groupe pendant lesquels les participants doivent suivre une consigne de l’animateur. “Le cadre des ateliers avec le temps imparti et la consigne permet d‘exprimer certaines souffrances ou associations d’idée en toute sécurité, alors qu’avec la parole, certains ont l’impression qu’il peut y avoir un débordement”, affirme Nayla Chidiac, et rappelle toutefois que cette forme d’expression “n’est pas pour tout le monde”. Certains fuient la page blanche depuis les dernières dictées et exposés scolaires. “L’école dégoûte de l’écriture, il faut alors la redécouvrir à travers des BD, des mangas ou autres”, conseille Jean-Pierre Klein.

Le figaro