L’histoire d’Anna* n’a jamais été simple. Elle le savait depuis son enfance. Non seulement parce que ses parents avaient vécu une relation pendant vingt ans alors que son propre père était resté marié. Mais aussi parce qu’il a choisi de ne pas divorcer et de se séparer de sa mère, tout en gardant des liens avec elle et en la voyant de temps en temps. « J’étais plongée dans un univers très particulier », reconnaît cette future enseignante de 25 ans. Élevée par sa mère, Anna voyait parfois son père qui avait complètement cloisonné ses deux vies de mari et d’ancien compagnon malgré le fait qu’ils vivaient dans la même petite ville bretonne. Un jour, à douze ans, elle le croise par hasard avec sa femme dans un magasin. Elle raconte : « Je n’étais pas vraiment au courant de sa vie de famille. J’ai donc interrogé ma mère sur le sujet, et là elle m’a annoncé qu’il était toujours marié et qu’il avait une fille. Donc que j’avais une grande sœur ! » Une énorme surprise pour la jeune adolescente d’alors, mais, étonnamment, la nouvelle l’a enthousiasmée : « Mes parents m’ont toujours affirmé que j’étais fille unique, là j’avais une sœur. Et je me suis dit que peut-être on se rencontrerait un jour. »
Treize ans plus tard, la rencontre n’a pas eu lieu, car son père a longtemps refusé d’évoquer l’existence de cette sœur et celle-ci refuse de la voir. Ce qui n’empêche pas Anna de garder espoir de la croiser un jour et de lui parler. « Quand mon père vieillira, je ne la laisserai pas toute seule s’occuper de lui, je serai là moi aussi », martèle-t-elle. Des secrets comme celui-ci, la psychologue Elisabeth Horowitz, auteure de « Se libérer du destin familial », en entend parler très régulièrement en cabinet : « Dans les familles, on parle très peu. La plupart des personnes ignorent même comment leurs parents se sont rencontrés. Il y a beaucoup de non-dits. » Qu’ils concernent la filiation, l’argent, l’amour caché ou bien la violence intrafamiliale, les silences sur ces événements familiaux peuvent pourtant avoir de lourdes conséquences (psychologiques, physiques), sur plusieurs générations.
Éclairer son passé pour mieux se comprendre
Depuis son enfance, Françoise* a toujours ressenti qu’elle était différente. « J’avais une colère en moi, j’étais révoltée », explique cette retraitée de 61 ans, dont les souvenirs familiaux sont teintés de mauvais moments et de conflits permanents entre elle, sa mère et ses frères et soeurs. L’an dernier, elle a décidé de réaliser un test ADN pour répondre à des questionnements qu’elle avait en tête depuis longtemps. Elle a découvert que le père qui l’avait élevé n’était pas le sien. « Découvrir ce secret m’a permis de comprendre pourquoi je n’étais pas proche d’elle, indique Françoise sans citer le mot de « mère » tant ce secret l’a fâchée avec celle-ci. Aujourd’hui je me sens mieux, je ne pensais pas que ce serait à ce point-là d’ailleurs. » Pour elle, ce sont pourtant des années de vie qui ont été remises en cause, une partie de son arbre généalogique qui a soudainement disparu et la révélation par la même occasion que deux de ses amis d’enfance étaient en réalité ses demi-frères. Mais elle a aussi compris pourquoi elle avait créé une association pour retrouver les parents d’enfants nés sous X.
La psychologue Elisabeth Horowitz affirme que lorsqu’on garde un secret, cela permet de garder le pouvoir sur toutes les personnes concernées. « Ce qui explique que, lorsqu’on confronte des membres de la famille à des vérités, ils peuvent soutenir le contraire. » La même situation est arrivée à Pascale*, infirmière de 50 ans dans le sud de la France. Il y avait tout d’abord la différence de traitement de la part de son père entre elle son frère et sa sœur. Puis les différences physiques. « À l’école, tout le monde nous disait que nous n’étions pas sœurs, se rappelle-t-elle. Et surtout, les dates de l’histoire familiale ne correspondaient pas. » Pascale a pourtant vécu longtemps avec ce sentiment de mal-être, « à 8 ans j’avais déjà interrogé ma mère sur le sujet », jusqu’à ce qu’elle ait des problèmes de santé et que son père refuse d’effectuer un dépistage familial. En 2016, son frère lui offre un test ADN ainsi qu’à sa sœur : ils découvrent qu’ils sont tous les trois de pères différents.
« Cette découverte a été une libération, avant ça tout le monde autour de moi me disait que je me faisais des films. Mon entourage a compris mes colères », explique celle qui ne supporte plus le mensonge. Selon la psychologue Elisabeth Horowitz, la révélation d’un secret familial peut être bénéfique : « Elle peut permettre de vivre bien, de se sentir mieux et en adéquation avec le monde tout en se libérant du destin familial » trois ans plus tard, Pascale recherche toujours son véritable père, alors que sa mère refuse de lui indiquer la vérité. Une raison de plus d’être enthousiaste : « Je suis encore plus déterminée à trouver. »
Savoir révéler un secret pour éviter la casse
Si les conflits ne se résorbent pas toujours, les liens familiaux peuvent aussi être renforcés par le décèlement d’un secret. Élodie, technicienne d’information médicale de 31 ans dans la région de Douai, l’a expérimentée. « Depuis que je suis toute petite, je n’ai jamais réellement aimé mon nom de famille », confesse-t-elle. En 2014, elle découvre la généalogie et commence à réaliser son arbre. « Quand j’ai débuté, je me suis souvenue que mon père, quand il parlait des querelles de famille, se demandait toujours si son père était vraiment le sien. » Après avoir interrogé sa grand-mère une première fois sans qu’elle ne dévoile la vérité, celle-ci l’a finalement avoué à son fils un peu après. « De mon côté, je l’ai bien pris, je n’ai pas jugé ma grand-mère, éprouve Élodie, qui a donc su que son nom de famille, Wacheux, n’était en réalité pas le sien, mais qu’elle s’appelait Lajovec. Je suis retournée la voir et elle m’a donné plein de détails sur cet homme. De là, elle s’est dévoilée, nous nous sommes beaucoup rapprochées. »
Pour elle, cette démarche visait à ce que son père sache la vérité « car il ne l’aurait peut-être jamais questionnée seul », tout en affirmant sa place dans la famille. Et si les choses se sont bien passées et que les membres de la famille se sont rapprochés, la psychologue Elisabeth Horowitz n’oublie pas de préciser qu’il faut envisager toutes les conséquences, positives comme négatives, avant de révéler un secret : « La démarche peut resserrer certains liens, mais peut aussi en détruire d’autres. Il y a, avec la révélation du secret, une redistribution des affects. » C’est aussi une autre vie qui commence, et bien souvent des enquêtes à continuer pour rétablir complètement la vérité. Récemment, Elodie a retrouvé une des filles de son véritable grand-père et l’a contactée. L’appel s’est plutôt bien passé. « J’espère en savoir plus sur lui, comment il était, comment il aurait pu être. Histoire qu’il ait vraiment sa place dans la famille. »
Manon Boquen https://www.lexpress.fr/
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